Gaudí au Musée d’Orsay
Exposer l’architecture est un exercice difficile. Pour Gaudí au Musée d’Orsay, les commissaires ont choisi d’aborder l’architecte sous l’angle du processus créatif, de l’idée à l’atelier et de l’atelier à l’objet - bâtiment ou mobilier - en replaçant les réalisations d’Antoní Gaudí (1852-1926) dans le contexte conflictuel de la Barcelone de son temps. Le résultat est convaincant : on y découvre avec clarté son intention, sa méthode et sa place si particulière dans le mouvement global de l’Art Nouveau, qu’il a embrassé et dépassé.
Les maquettes et dessins préparatoires de Gaudí sont rares, le pillage et l’incendie de son atelier en 1936 ont pratiquement tout fait disparaître. Mais il y des photos et la restitution de son procédé est possible. Le première section de l’exposition, consacrée à l’atelier, donne une idée de la profusion de la pensée et des influences. L’antre de Gaudí était le laboratoire alchimique d’où surgissaient les formes enfiévrées - imaginées par “un fou ou un génie “, selon les mots rapportés du directeur de l’école d’architecture de Barcelone - et les incarnations des grâces et des angoisses qui peuplent son oeuvre.
Un imaginaire toutefois appuyé sur une remarquable rationalité puisque Gaudí inventait, au fil de son travail, les moyens technologiques qui, seuls, pouvaient lui permettre l’aboutissement de sa vision : estrade d’étude à miroirs multiples, maquette gravitationnelle de visualisation des poussées, arc caténaire… Au-delà de l’architecte, Gaudí était aussi, on l’avait peut-être un peu oublié, un formidable ingénieur-plasticien.
Les plus importantes de ses réalisations - les casas (immeubles commandés par des particuliers) et les édifices de culte - sont évoquées dans leurs sections dédiées par des plans, des photographies et du mobilier qui en dégagent toute l’extravagante créativité, entre Napoléon III hispanique, Art Nouveau fantastique et Modernismo sans pareil. Des fragments brisés et passés par le feu de 1936 des modèles originaux pour la Sagrada Familia concluent le parcours, produits accidentels d’une destruction transmutée. Comme un signe de la rédemption après laquelle Gaudí avait couru toute sa vie.
Si l’exposition ne remplace pas l’expérience physique de la visite des bâtiments de Gaudí - les structures de Gaudí sont furieusement expérientielles -, elle la complète et la rend plus riche. On a vraiment envie, en sortant, d’aller faire ou refaire un tour à Barcelone. Car la création de l’architecte catalan, aussi exaltante qu’inquiétante, aussi joyeuse que tragique, par sa puissance émotionnelle et le choc des sens qu’elle provoque quand on est sur place, empêche d’en apprécier toute l’intelligence d’intention. L’occasion en est offerte au Musée d’Orsay et c’est assez passionnant. Ave Gaudí !
À l’occasion de l’exposition, Beaux Arts Editions a publié le hors-série Gaudí dont j’ai assuré la coordination éditoriale. Au musée, en kiosque et en librairies. 68p, 11€
Gaudí
du 12 avril au 17 juillet 2022
Le texte ci-dessus ne reflète que mon avis personnel